Comme un trou dans le cœur
Comme un trou dans le cœur. Comme un gouffre.
Mes parents ne sont pas compréhensifs. Ils ne comprennent rien à la P1, à la solitude que c’est.
Ce soir, je me suis mise à pleurer. Pas de fatigue physique, non ; de fatigue psychologique. Ma mère m’a entendue à travers la cloison de ma chambre. « Arrête de pleurer. Tu ne vas pas te mettre à pleurer à 3 mois du concours et pleurer ensuite parce que tu n’auras pas eu le temps de réviser. Ressaisis-toi ». Avec un ton dur et froid. L’air de dire « arrête de pleurer, tu m’empêches de dormir ». Un peu comme lorsque je lui dis que je n’en peux plus, et qu’elle me jette ce drôle de regard.
Ainsi donc, elle pense que je pleure parce que je suis une paresseuse. Elle me voit presque comme une nuisance, vu qu’elle m’a reproché de venir m’asseoir avec elle dans la cuisine pour avoir un peu de compagnie. Elle pense que je suis velléitaire et paresseuse.
Mon père lui non plus ne comprend rien à la P1. Tout ce qui l’intéresse, ce sont mes notes. Quand je rentre le soir de la fac, l’une de ses premières questions est : « alors, tu as eu les notes des concours blancs ? ». Il ne comprend pas que quand je lui ramène un 12 et que le 12 en question est au-dessus de la barre, c’est comme si je ramenais un 15 ou un 16 du lycée. Non. Il a toujours fallu et il faudra toujours que j’obtienne d’excellentes notes pour avoir un peu d’attention de la part de mon père.
Mes parents ne comprennent rien à la P1 ; au sentiment grandissant de solitude mêlée de désespoir qui prend possession de moi. Avoir un ersatz de vie, assise à longueur de temps sur une chaise, penchée sur mes polycopiés. Entendre parler des tribulations des amis hors médecine ; leurs sorties, leurs rencontres, leurs nouvelles vies. Les sentir peu à peu s’éloigner, parce qu’on n’est rarement disponible, parce qu’on ne s’intéresse pas à quelqu’un qui n’a plus grand-chose de nouveau à dire - comment leur reprocher en même temps… Et puis j’ai beau connaître une poignée de gens que j’apprécie vraiment à la fac ou à la BU, je me sens quand même seule. Infiniment seule. Une fois rentrée chez moi, face à mes cours, face au mur d’incompréhension qui me séparent de mes parents, je n’ai plus personne. Nous n’avons pas d’animaux, et je suis fille unique. Les amis, les confidents sur lesquels je pouvais compter commencent à en avoir assez de m’écoutez, peut-être même à en avoir assez de moi. Et je reste seule, désemparée, dans le silence de ma chambre ; abasourdie à l’idée que demain la journée ressemble étrangement à celle d’aujourd’hui.
Et je lutte pour maintenir la tête hors de l’eau, je lutte contre ce sentiment de solitude et d’abandon ; je ne peux que m’obliger à oublier pour avancer. La plupart du temps, c’est efficace : je suis même sereine et presque heureuse de bien m’accommoder de ma condition. Mais de temps en temps, je sombre ; et alors il me faut trouver quelque chose qui m’aide à sortir la tête de l’eau.